Rue des Marchands
Cette courte rue coudée relie les deux premiers faubourgs de la ville : Le Marché et la Porte Romaine (pl. aux Herbes). Mais antérieurement au rempart qui en dessine le contour interne (XIII-XIVe siècle), passait ici une voie perpendiculaire à la rue actuelle, allant de la place Ancienne Halle vers le quartier Piquet-Vieux : la rue du Conseil. Il ne reste comme trace de cette voie que la façade de la maison N°7, implantée sur son bord, qui, avant d’être réduite (1910) formait une véritable chicane au milieu de la rue des Marchands, et le curieux renfoncement de la maison N°9, qui est venu boucher la rue du Conseil. Le Conseil de ville, qui avait donné son nom à la rue, se tenait dans une tour, la seule de forme ronde, située dans l’angle du rempart où sont venues s’appuyer les maisons N°12 et 14.
La rue des Marchands canalisa la circulation Aix-Brignoles-Grasse jusqu’au XVIe siècle, où celle-ci s’échappa vers les lices. La dénomination » rue Beaulieu » ( » Bello loco » en 1334), puis » Beaucaire » ou » Beauregard » … ne traduit-il pas l’émerveillement des regards devant la richesse de ses étalages ? Cette bonne opinion se poursuivit au XVIIIe siècle avec le nom » rue des Orfèvres « , et sous la Révolution, » rue de l’Abondance « .
Une voie très passante donc très commerçante bordée d’une double haie de boutiques à l’ouverture béante été comme hiver surchargées de séduisants étalages.
Apothicaires, épiciers, marchands de draps, d’étoffes et de chausses, merciers, orfèvres se donnent rendez-vous ici pour solliciter le passant.
La prospérité commerciale de la rue permis d’ériger les maisons les plus hautes de la ville quelques-unes dépassant 5 étages.
La plupart des anciennes familles de commerçants, fortune faite, passèrent dans les rangs de la bourgeoisie ou de la noblesse.
Quelques personnalités de marque sont issus de cette rue
À la fin du Moyen Âge un conseiller du Roi, au XVIIe siècle un professeur d’université, un agronome et industriel, un inspecteur général des mines, un musicien compositeur.
N°1. De Magniol à Magniol
N°1 de la rue des Marchands maison Granet – N°1 maison Guérin rue du Piquet-Vieux
Ces deux maisons ont longtemps étaient réunies.
Son enclos jouxte au sud (rue de Trans) celui des dames de la Manarre d’Hyères qui lui s’allongeait jusqu’à l’extrémité de la rue.
La famille Pascal-Mercadier très présente dans l’histoire de cette rue s’établit ici en 1428.
Au XIVe siècle une des maisons est la propriété et la Boutique du notaire Pierre Magniol, et l’autre depuis au moins la fin du XIIIe siècle est l’hospitalité Saint-Jacques, il héberge les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le bâtiment est au début entouré d’un jardin, concession sur bail emphytéotique par l’Hôpital Saint-Jacques qui en était propriétaire.
Au début du XVIIe siècle un certain Antoine Magniol est propriétaire de la maison, l’histoire ne dit pas s’il est parent ou pas du notaire du XIIIe siècle.
Sur la porte d’entrée (XIXe siècle) on observera la grille d’imposte en fer forgé, proche de celle N°8 rue Cisson et 14 rue de Trans.
N°2. La longue durée de la famille Audiffret
De 1624 à 1858, cette maison garda le même nom de propriétaire, de celui qui l’avait acquise sous Louis XIII : Audiffret, suivi de 5 générations, 4 de marchands et 1 de robe. Suivant un mouvement très en vogue dans le quartier, les Audiffret étaient arrivés des Alpes (Barcelonnette) au XVIe siècle.
Blaise et Charles étaient déjà propriétaires du N°15 pl. du Marché. Ils épousèrent les très dracénoises filles Raimond (futurs Raimondis).
Louis-Dominique-Laurent Audiffret, né en 1790, fut avocat-avoué au barreau de la ville. Il défendit en cour d’Assise les chefs du parti bonapartiste, Jean-Baptiste Colle (futur sous-préfet d’Aix) et Honoré Jourdan (futur préfet de Corse) en 1816. Mais ses clients préférèrent un autre système défense : ils ne tardèrent pas, suivant la vieille tradition pénitentiaire dracénoise, à s’évader de la prison de l’Observance. Colle fut acquitté et Jourdan ne fut pas rattrapé.
Audiffret était aussi lettré et un poète élégiaque délicat, que la postérité, cette ingrate, n’a pas retenu. Mais n’avait-il pas récusé d’avance son jugement ? » Richesse, vains honneurs, qu’un autre vous envie ! » (L’Hermitage, élégie II, in Elégies).
Mireur décrit avec gourmandise le transfert nocturne de » Mademoiselle Justine » Audiffret, depuis sa maison natale jusqu’à la communauté Sainte-Marthe de Romans, avenue de Montferrat, en 1958.
Une escouade de quatre vigoureux soldats, sous les ordres d’un capitaine, portait » dans une corbeille » la sœur de l’avocat-poète. Elle était invalide et avait vendu la maison. Installée dans une chambre en façade au 1er étage de sa nouvelle résidence, elle pouvait suivre les offices par une ouverture donnant dans la chapelle, et aller discuter avec les passants de la rue par la fenêtre.
Ce qu’elle fit pendant 23 ans. Sans compter les visites, ininterrompues, de ses admirateurs. Elle tint là une sorte de salon et d’agence de presse, dont la mention » Cela s’est dit chez Mademoiselle Justine » suffisait à donner des labels d’authenticité.
Étant enfant lors des Cent-jours, Mademoiselle Justine avait vu les bonapartistes brandir le drapeau tricolore dans la rue des Marchands et aller l’imposer au préfet en poste. Un fait que son frère l’avocat nia lors d’un fameux procès auquel elle assistait. Justine n’hésita pas alors à s’écrier à l’encontre de l’orateur, en pleine audience : » Aquéu mentour ! » (Quel menteur !), déclenchant un bel incident et un certain embarras sur les bancs de la défense.
N°3. La maison des Barnéty
La maison fut habitée par les Textoris (ou Teissier) au XVe et XVIe siècles, dont Jean Textoris, notaire et Antoine Pierrugues, son gendre, cordonnier. Auxquels succédèrent les Barnety, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Pierre-Jean Barnéty était cardeur à laine, ses successeurs marchands puis bourgeois. Le livre de Raison de la famille nous décrit » Anne Barnetti (…) ne quittant son cilice que très rarement, jeûnant trois jours chaque semaine, prenant autant de jours une très rude discipline… « . Cette pieuse femme eut pour fils Pierre-Jean Pignon (1687), qui devint président de la » Compagnie Royale d’Afrique « , aux appointements de 9 000 livres par an.
François-Emmanuel Barnéty, procureur du Roi près la communauté, légua 1 000 livres par an à l’Hôpital Saint-Jacques, pour l’amélioration des » gages » des médecins de service. Il faut dire que les dévoués praticiens ne touchaient, eux, que 19 livres par an.
En 1717, la fille de François-Emmanuel épousa Joseph de Raimondis d’Allons (fils du Lieutenant-général), qui fut nommé consul de France à Tripoli et y mourut de la peste.
François Caussemille, fabricant de drap, acheta cette maison avant la Révolution, puis 3 autres dans la même rue pendant celle-ci. Cette famille avait commencé comme cardeur de laine dans les profondeurs de la rue Vieille Boucherie avant le XVIe siècle. Ils suivirent l’expansion de la ville. À la Révolution, ils achetèrent le couvent des Franciscains pour y installer leur industrie (N°30 rue Cisson).
La dynastie se continua par Jean-Pierre Caussemille (1783), puis Joseph-Toussaint Caussemille (1812), qui fonda une succursale à Marseille, y devint un jadis célèbre fabricant d’allumettes, dont les usines essaimèrent en Italie, en Belgique et en Algérie.
N°4. Maison Pascal-Mercadier
Antoine Pascal-Mercadier, apothicaire, se présentant » de Collebasse « , malgré son extraction bas-alpine et les pains de sucre qu’il vendait à son comptoir, s’enrôla chez les aristocratiques Ligueur. Il devint 1er consul en 1556, alors que l’autorité d’Henri IV n’était plus contestée. Il défendit l’indépendance de la ville contre les recommandations intempestives du duc de Guise. On compte parmi ses nombreux enfants, Antoine (II), de Collebasse et Montaux (l’un et l’autre dérisoires lopins de terre à la Motte), avocat, Pierre Pascal-Mercadier, médecin, qui alla s’installer à Cagliari en Sicile en 1624. Il y devint professeur royal de Médecine à l’Université.
D’autres dracénois vivant dans cette même ville, les frères Cathalan, firent don aux Capucins de la statue de N.D. de-Bon-Secours, qui se trouve dans l’église des Minimes.
N°6. La Chapelle clandestine de Théréson
La maison appartint à des marchands-drapiers au XVIe siècle (Jean Hélant) et à d’autres marchands au XVIIe (Pautrier).
François Caussemille, déjà propriétaire sur l’autre côté de la rue, acquit la maison en 1791 et la légua à sa fille, la populaire et pieuse Théréson.
Pendant La Terreur : c’est dans » la chambre du second étage (…) sur le devant, (que) s’exerçait le culte catholique et (que) l’on administrait tous les sacrements… »
N°7. La maison des Pépin
Au début du XVIIe siècle, cette maison appartenait aux Pépin, potier d’étain. Nous retrouverons Jean Pépin, devenu hôtelier, dans la rue Saint-François : La Cavale Blanche (8 rue Cisson).
N°8. Meissonnier, ou l’art militaire
Ambroise Pascal-Mercadier, dont la famille possédait déjà le N°4, fut ici tanneur-cordonnier (sabaterius) et nommé IIe consul en 1517. Son fils, Honorat Pascal-Mercadier, bien que marchand, fut 1er consul en 1552. Il dût renouveler l’arrêté de 1508 obligeant les fileuses à se tenir d’un seul côté de la rue et à tourner leurs dangereuses broches vers la muraille, sous peine d’un écu. Combien y avait-il eu de piqués en un demi siècle ?
Au XIXe siècle, François-Victor Meissonnier s’enrichit avec une agence de remplacement militaire (la loi de 1832 permettait de racheter un » mauvais » tirage au sort).
Est-ce que l’ancien sous-officier du 1er Empire avait ramené de ses campagnes d’Espagne, outre sa femme, le goût des balcons ? Il fut le premier de la ville à en décorer la façade de sa maison, mais il n’en reste plus de nos jours. Sous Louis-Philippe, Meissonnier et le maire Roque se partageaient le commandement de la Garde Nationale : à Roque l’infanterie et à Meissonnier la cavalerie. Ils étaient les deux » grands électeurs » de la ville. Ils commandaient aux maires, aux conseillers, choisissaient le député et les exempts du Service Militaire. Sans parler des emplois et des distinctions. Curieusement, la révolution de 1848 ne s’attaqua pas à cette oligarchie de l’argent et du trafic d’influence. La foule se contenta de démolir l’Octroi et de brûler les dossiers de l’Administration des Droits réunis (fisc).
Jean-Baptiste-Emmanuel Meissonnier, né en 1818, ayant fait Polytechnique, et l’École des Mines, devint Inspecteur général et président de société métallurgique. Il fut à l’origine de l’exploitation de la bauxite varoise.
N°10. La Maison des Rafel, drapier
Le premier bâtisseur de cette maison paraît avoir été Monet (Raimond) Rafel, » laborator » (laboureur). Il fut à l’origine de tous les Rafelis, Raphaël, etc. de la ville. Malgré la modestie du titre, il fut syndic en 1459. Pierre Rafel, marchand-drapier, fut syndic en 1489 et 1500. Lors de son premier mandat, les titres de propriété de la ville disparurent.
On députa auprès de l’Official de Fréjus pour obtenir des » lettres monitoires » (excommunication des voleurs, receleurs ou non-dénonciateurs, devant être lue en chair). C’est cette année-là que le ruisseau de la Riaille fut détourné à l’est de son lit, dégageant le pied des remparts pour les futures constructions de la Grande rue. Jean Rafel, drapier, IIIe consul en 1537, devint 1er consul en 1548 et 63. Les réformés étaient désespérés par l’assassinat du duc de Guise. On accusa Rafel de séquestrer l’un d’eux. Les auvents des boutiques furent saccagés. Le conseil prit des mesures conservatoires : guet, garde des portes et gestion des biens séquestrés de » ceulx de la nouvelle opinion » qui avaient pris la fuite et dont il fallait nourrir les familles.
Le viguier, Pascalon, fut sommé de résider en ville.
Il faillit être massacré, sur la place du Marché, par des religionnaires armés de dagues, épées, et » pistollez « .
Suivirent 5 générations de Rafel, drapiers, qui ne s’occupèrent plus d’affaires publiques.
N°11. Maison Clergue
Jean Clergue (écrit Clerici) était ici marchand et notaire à la fin du XVe siècle. Il figura dans les conseils communaux. Son fils, Etienne Clergue, fut IIe consul en 1553, député comme » un homme d’apparence » de la viguerie auprès du comte de Grignan, en 1543, et 1er consul en 1551.
Alors qu’une sécheresse inquiétante compromettait les récoltes, le conseil municipal, délaissant les sanctuaires dracénois, organisa une procession à N.D. de-Spasme (N.D. de la Roquette) au Muy, dont les participants allèrent » de deux en deux, en bon ordre « , encadrés de » bastoniers « . Nul doute que l’ordre devait régner…
Jean Roudier, mercier, d’origine dauphinoise, acquit la maison en 1570, la voisine en 1585, et fit rebâtir l’ensemble. Son fils Louis Roudier, marchand, acheta une part de la seigneurie de Taradeau aux syndics dracénois (1601). À sa mort, il fut enseveli dans la Collégiale.
N°12. Giraud, ou la folie de la musique
En 1747, la femme du procureur Juliany plaida contre son propre fils, Joseph. Celui-ci, sortit du couvent des Capucins, était devenu à 30 ans lieutenant dans l’armée d’Italie et voulait épouser Marguerite Bertrand, 19 ans, fille d’un marchand du voisinage. La mère abusive reprochait à la promise d’avoir un défaut dans l’œil (la paille) et au père de la belle, un défaut dans sa comptabilité (la poutre). Elle invoqua l’impuissance du jeune homme comme obstacle à cette union. Il fallut à Me Revel, avocat de la défense, 60 pages de plaidoirie moliéresque pour réfuter ses arguties, et 9 mois au jeune couple (qui finit par être réuni) pour apporter la preuve vivante et vagissante de la mauvaise foi maternelle.
Adolphe-Jean-Marie Giraud, né ici en 1863, préféra la musique au commerce des étoffes. Le père, violoniste amateur, pouvait-il s’opposer à cette vocation ?
Le petit Adolphe joua du saxophone, puis du haut-bois. Il fit une carrière brillante dans la musique militaire. Triomphant à tous les concours, il devint le plus jeune de tous les Chefs de musique de 1ère classe. Il composa force marches, mélodies et » pas redoublés « … Mais quels étaient donc » les plaisirs faciles et les mauvaises habitudes de la vie de garnison « , auxquels Mireur pense que » sa raison ne résista pas » ? Levait-il le coude dans un autre but que de battre la mesure ? Embrassa-t-il tout autre chose que sa carrière militaire ? Adolphe n’était-il pas plutôt un autre cas du » syndrome de Tistet Buisson » ?
A Draguignan, la musique, telle le dieu antique, rendait-elle fous ceux qu’elle a élus ? Toujours est-il que le malheureux Adolphe fut conduit à l’asile de Pierrefeu sans tambour ni trompettes. Il y décéda rapidement (lui aussi), les premiers jours de l’année 1905.
Source : Draguignan – Le Temps Retrouvé – Pierre Jean Gayrard – Éd. Équinoxe
Source : http://transenprovence.over-blog.com/
Source : http://ville-draguignan.fr
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